L’observatoire photographique des paysages : un outil d’observation de l’évolution des paysages garonnais.

Philippe Valette, Maître de Conférences Université Toulouse Le Mirail, GEODE UMR 5602 CNRS.
Philippe Béringuier, Maître de Conférences Université Toulouse Le Mirail, GEODE UMR 5602 CNRS.


  Les paysages fluviaux garonnais ont connu une profonde métamorphose depuis plusieurs siècles (Valette, 2002). Peu de représentations iconographiques sont disponibles pour témoigner de cette évolution, mis à part des cartes anciennes et quelques tableaux de peinture. Il faut attendre, comme partout, la fin du XIXe siècle et surtout le début du XXe siècle pour voir apparaître les premières photographies de paysages représentant la Garonne. Ces photographies anciennes comparées à des clichés actuels permettent d’apprécier visuellement des évolutions des paysages à l’échelle d’une centaine d’années. Aujourd’hui, cette démarche se développe de plus en plus en France dans le cadre des observatoires photographiques des paysages, sous l’impulsion du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du territoire (MEEDDAT, 2008).



  Dans le grand Sud-Ouest, il n’existe pas à ce jour d’observatoire photographique du paysage labellisé par le ministère. En revanche, Jean-Paul Métailié, qui peut être qualifié de « photo-géographe », a largement développé, depuis plusieurs décennies, l’observation photographique des paysages montagnards pyrénéens (Métailié, 1986 ; 1988 ; 2007). « L’utilisation de la photographie pour analyser les dynamiques paysagères et les suivre en permanence est pratiquement aussi ancienne que la technique elle-même » (Métailié, 2007). La volonté affichée de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Midi-Pyrénées est de combler ce vide en construisant un observatoire régional des paysages. L’observatoire photographique des paysages de la Garonne entre dans ce dispositif, cependant, il dépasse largement le cadre régional, puisqu’il s’intéresse au fleuve de la source à l’embouchure et traverse Midi-Pyrénées et la région Aquitaine.



  Les réflexions engagées pour mettre en place l’observatoire des paysages fluviaux garonnais privilégient deux objectifs. Tout d’abord, il s’agit d’étudier l’évolution des paysages à partir des clichés anciens. Le travail d’inventaire des clichés anciens est en cours et des campagnes de rephotographies sont programmées dans les années à venir. Tous ces documents anciens datent approximativement de la même époque entre 1910 et 1920. Juxtaposés les uns aux autres ils permettent de reconstituer une partie du paysage fluvial du début du XXe siècle, à la nuance près que l’essentiel des cartes postales représente des secteurs urbains ou villageois. Il existe assez peu de clichés sur le milieu rural, même si à la faveur de quelques-uns, il est possible de décrire certains des paysages ruraux de la vallée de la Garonne. L’ensemble des clichés répertoriés peut servir alors de trame à la reconduction actuelle des photographies, dont une sélection thématique et géographique des sites d’observation constituera un itinéraire permettant de révéler les métamorphoses, mais également certaines permanences des paysages. L’analyse diachronique s’appuie sur la photocomparaison à plusieurs dates, retraçant ainsi l’histoire récente des paysages garonnais marquée par des évènements exceptionnels et les aménagements modernes cherchant à s’affranchir des contraintes ou bien témoins de nouveaux rapports avec le fleuve. Il est à noter que peu de travaux scientifiques traitent de l’évolution des paysages des cours d’eau à travers la pratique de la photocomparaison.



  Le second objectif de l’observatoire photographique des paysages fluviaux garonnais est plus contemporain. Il s’agit de s’inscrire dans une actualité pour assurer le suivi photographique et l’évaluation des projets portés par le Plan Garonne. L’’identification dans la vallée de la Garonne des zones à forts enjeux, ainsi que les transformations à venir liées à l’aménagement de la voie Ligne Grande Vitesse, à la poursuite de l’urbanisation et de la péri-urbanisation… serviront à la sélection de nouveaux points de vue photographiques. Il s’agit ainsi de construire un dispositif qui contribue à mesurer et à apprécier l’impact et l’efficacité des politiques publiques sur les paysages garonnais.


Le Pont Canal à Agen lors de la crue de 1930 (cliché DDE 47).                        Le pont canal aujourd’hui (cliché Ph Valette, 2000).



  En l’état actuel, un peu plus d’une décennie de recherche, sur les photographies anciennes des paysages fluviaux garonnais, nous conduit à faire plusieurs remarques. Sur les cours d’eau, l’administration des Ponts et Chaussées n’a pas réalisé de campagne photographique, comme ont pu le faire les forestiers en Montagne à la fin du XIXe siècle. Par contre, il n’est pas rare de trouver des campagnes photographiques après le passage d’une inondation. C’est le cas notamment après le passage de la crue « mémorable » de 1875 qui a été photographiée à Toulouse par Eugène Trutat (Archives Municipales, Muséum d’Histoire Naturelles de Toulouse) et ces documents ont laissé un témoignage remarquable de cet événement (Banque d’Images du Patrimoine et du Territoire). D’autres événements catastrophiques ont été saisis par des archives photographiques : il s’agit des crues de 1930, 1952 et 1981. Ces photographies sont de véritables témoignages des niveaux atteints par la crue et des dégâts infligés aux sociétés. Elles enregistrent sur la pellicule le paysage de la catastrophe, où le spectaculaire impressionne ceux qui découvrent ces clichés dans la presse.



  Si les inondations sont présentes dans le corpus des photographies anciennes, elles ne sont pas majoritaires. D’autres photographies ou cartes postales anciennes concernent des vues prises à partir de points hauts vers la vallée (Auvillar, plateau de l’Hermitage à Agen, Pech de Beyre, Meilhan…). Ces documents que l’on peut qualifier de panoramique sont régulièrement privilégiés par les photographes, mais elles sont néanmoins en nombre limité dans la vallée de la Garonne. Certaines cartes postales représentent des vues plus réduites qui révèlent une partie de la plaine inondable et du fleuve. Ce type de cliché est plus riche en information que les précédents puisque la vue y est plus rapprochée. D’autres cartes postales nous offrent des vues encore plus précises, et le fleuve y apparaît au centre de la scène. Par contre ce type de cartes postales est l’objet de thématiques variées. Il révèle des usages et des fonctions du fleuve au début du XXe siècle. Nous en trouvons par exemple sur la pêche aux aloses, sur la navigation en bateau à vapeur, sur les anciens bacs, sur des ouvrages humains tel que les chaussées, les écluses, les épis de rectification, les ponts… Parmi ces thématiques, les ponts occupent une place privilégiée et ont été tous systématiquement photographiés. Un autre thème très représenté est le rapport entre une ville et son fleuve au travers des quais, des usages comme le dragage, le chargement et déchargement des bateaux, les laveuses… Enfin, certains clichés représentent un certain rapport hommes / cours d’eau où le côté festif est très présent (courses de bateau, baignade, guinguettes…) et parfois aussi un certain côté anecdotique (meurtre sur le rocher de Langon…).




  Ces documents au même titre que les cartes topographiques, sont une «description instantanée» du fleuve à une époque donnée. A partir de 1910, la photographie se développe et se popularise, notamment à travers la carte postale. Aujourd’hui, il est possible de les trouver dans certains fonds des archives départementales (fonds Labouche, Archives Départementales de la Haute-Garonne) mais aussi lors de brocantes ou à la faveur de rencontres avec des collectionneurs. Ces sources font aussi, depuis quelques années, l’objet de publications spécifiques à destination du grand public, où les photographies exposées ainsi que le texte les accompagnants laissent une large part à la nostalgie des paysages d’antan. « Au-delà du caractère pittoresque des vieux clichés, l’utilisation des archives photographiques reste un outil fondamental pour la connaissance et la prise de conscience de la dynamique des paysages » (Métailié, 2007). Si l’analyse des photographies prises à différentes dates, pour en extraire de l’information renseignant sur l’évolution des paysages, ne présente pas de difficultés majeures lorsqu’elle concerne un nombre limité de clichés, elle est en revanche très chronophage dès lors que se multiplient les observations.


  Au final, l’observatoire photographique des paysages de la Garonne devrait permettre d’une part, à partir de photographies anciennes, d’envisager un suivi des transformations des paysages fluviaux au cours du dernier siècle et d’autre part, en se focalisant sur les enjeux actuels et les démarches en cours, de constituer une aide à la décision pour protéger, valoriser ou réhabiliter ces territoires au service de la mise en œuvre d’une politique d’aménagement durable de la Garonne et de ses paysages.


Bibliographie :

MEEDDAT, 2008, Itinéraires photographiques. Méthode de l’observatoire photographique du paysage, 71 p.

Métaillié J-P., 2007, « Paysages d’hier et de demain, l’Ariège photographiée, dans Revue Midi-Pyrénées Patrimoine, Regards sur les Pyrénées, n°11, juillet, septembre 2007, pp 56-63

Métailié J-P., 1988, « Une vision de l’aménagement des montagnes au 19e siècle : les photographies de la RTM, Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-ouest, Tome 59, fasc 1, pp 35-52, Toulouse

Métailié J-P., 1986, « Photographie et histoire du paysage : un exemple dans les Pyrénées luchonnaises », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-ouest, Tome 57, fasc 2, pp 179-208, Toulouse

Valette P., 2002, Les paysages de la Garonne : les métamorphoses d’un fleuve (entre Toulouse et Castets-en-Dorthe), Thèse de géographie, Université de Toulouse Le Mirail, 554 p.